27 millions de femmes, d’hommes et d’enfants vivent actuellement au Yémen. Huit millions sont menacés par la famine, un million a contracté le choléra et deux millions ont été déplacés. En cause : un conflit d’une violence extrême opposant rebelles houthiste et l’Arabie Saoudite depuis plus de trois ans.
« La pire crise humanitaire dans le monde ». C’est ainsi qu’Antonio Guterres, secrétaire général de l'ONU, définissait en 2017 la situation au Yémen. Et pour cause : le Yémen est le théâtre d’un conflit armé particulièrement violent depuis maintenant plus de trois ans. Une guerre peu médiatisée, parfois oubliée et pourtant bien meurtrière.
L’échec de la révolution yéménite
Pour comprendre les origines du conflit, revenons en 2004. Le Yémen est un pays majoritairement composé de sunnites - courant religieux majoritaire de l’Islam - et d’une forte minorité chiite regroupant 40 % de la population. En 2004, une partie de la population chiite, les houthistes, se rebelle car elle considère ne pas être assez impliquée dans la vie politique et économique du pays. Débute alors un conflit particulièrement violent, entre les rebelles houthistes, soutenus par l’Iran, et le pouvoir central de Sanaa, proche de l’Arabie Saoudite. Les rebelles gagnent au fil des années du terrain. En 2009, ils se rapprochent de la frontière avec l’Arabie Saoudite, qui effectue ses premières frappes aériennes sur le sol yéménite.
En 2011, inspirée par les printemps arabes qui éclosent en Tunisie et Algérie, la population yéménite se révolte elle aussi. Elle renverse le président Ali Abdallah Saleh, en place depuis l’unification du pays en 1990. Abdrabbo Mansour Hadi, alors vice-président, reprend en 2012 le pouvoir pour un mandat transitoire de deux ans, dans l’attente d’élections générales prévues en 2014.
Une instance est alors chargée de rédiger une nouvelle constitution en vue de réformer le pays. Celle-ci propose en janvier 2014 de transformer le Yémen en État fédéral de six provinces. Une préconisation rejetée par les houthistes, qui reprennent alors l’offensive et s’emparent de Sanaa, la capitale. Abdrabbo Mansour Hadi quitte le pays pour se réfugier à Ryad et l’Arabie Saoudite décide d’intervenir.
Débute alors un conflit particulièrement violent entre l’Arabie Saoudite, à la tête d'une coalition d'une dizaine de pays arabes et sunnites, et les houthistes, soutenus quant à eux par l’Iran. Un conflit meurtrier qui perdure désormais depuis plus de trois ans.
Une crise alimentaire et sanitaire sans précédent
En 2015, l’ONU met en place un blocus sur les armes dans le pays. Les ports et aéroports sont alors fermés et ce dernier se transforme peu à peu en embargo humanitaire. Alors que le pays a toujours dépendu de l'importation (à hauteur de 90 %), vivres et médicaments se retrouvent bloqués aux frontières. Et les rares ONG sur place ne parviennent pas à soutenir les besoins des populations.
Le Yémen est aujourd’hui dévasté. Selon l’ONU, le conflit aurait causé la mort de 9 200 hommes, femmes et enfants depuis 2015. 53 000 civils auraient par ailleurs été blessés. Les mineurs sont parmi les plus exposés : toutes les dix minutes, un enfant meurt dans le pays.
22 millions de Yéménites ont besoin d’une assistance humanitaire et 8 millions risquent la famine. La nourriture manque et les populations s’appauvrissent. À tel point que les Yéménites finissent parfois par se nourrir dans les décharges, comme en témoignait en janvier dernier un jeune garçon aux caméras de Brut : « Nous venons ici pour manger et boire ce que l’on trouve dans ces déchets. Je ramasse le pain et le plastique et je retourne les vendre pour acheter de la nourriture ». L’ampleur de la crise atteint aujourd’hui des sommets, comme s’en inquiétait en 2017 Mark Lowcock, coordonnateur des secours d'urgence de l’ONU : « Ce sera la plus grande famine que le monde ait connue depuis plusieurs décennies ».
Les médicaments sont eux aussi coincés aux frontières. Nombreux sont les Yéménites à devoir faire l’impasse sur leurs prescriptions médicales, vaccins et premiers soins. Le système de santé du pays n’a en effet pas survécu au conflit. C’est ainsi que l’été dernier une épidémie de choléra s’est abattue sur le pays. En juillet 2017, un rapport des Nations Unies comptait 5000 nouvelles personnes infectées par jour et un mort par heure à cause du choléra. En tout, plus d'un million de Yéménites ont été infectées en 2017. Et pour la première fois depuis 1982, des cas de diphtérie ont été enregistrés dans le pays.
Parmi les premières victimes de ce désastre sanitaire : les femmes enceintes et celles qui allaitent, dont la prise en charge est urgente mais souvent impossible. Le Yémen détient en effet le triste record de taux de mortalité maternelle de la région arabe. En 2017, seuls 45 % des établissements de santé fonctionnaient encore, dont 35 % en mesure d’accueillir des femmes enceintes.
Interrogée par le Fonds des Nations unies pour la population en 2017, Safia, sage-femme yéménite, raconte : « j’ai été appelée une nuit pour aider une mère et son bébé en danger de mort après un accouchement à domicile. Il y avait eu de gros bombardements dans la région et un couvre-feu de six heures du soir à six heures du matin était alors instauré. Personne ne pouvait sortir, les pharmacies étaient fermées, l'électricité était coupée et il faisait nuit. Mais j'ai décidé de prendre un risque et j'ai marché jusqu'à sa maison ». Heureusement pour la mère et l’enfant, Safia est arrivée à temps pour les sauver. Un cas isolé qui ne fait malheureusement pas figure de généralité dans le contexte actuel.
Les femmes yéménites, de la tête de la révolution à la précarité la plus totale
Le Yémen a longtemps été considéré par l’ONU comme l’un des pires pays de la planète en matière de droits des femmes : 14 % des Yéménites sont mariées avant l’âge de 15 ans, 52 % avant leurs 18 ans et 70 % des femmes sont illettrées.
Pourtant, en 2011, le visage de la révolution était celui d’une femme. Tawakkul Karman, prix Nobel de la paix, est rapidement devenue l’icône de la lutte contre le régime du président Saleh, aussi bien dans son pays que sur la scène internationale. Un combat qu’elle ne menait pas seule. Loin de là. Mères, lycéennes, jeunes actives… Dans le pays, elles étaient des milliers de femmes - de tout âge et de tout profil - à monter au front. Elles osaient faire entendre leurs voix, manifestaient dans les rues et brûlaient parfois leur voile sur la place publique pour réclamer l’égalité, la liberté. Dans ce contexte révolutionnaire et pour la première fois depuis bien longtemps, les femmes sortaient de l’ombre et contribuaient tout autant, voire plus, que les hommes au renversement du pouvoir. C’est une double révolution qui se jouait alors : la première pour la démocratie, la seconde contre les traditions qui bafouaient les droits des femmes.
Jamila Al-Kameli, médecin activiste vivant à Sanaa, expliquait en 2011 à France 24 : « Les choses ont vraiment changé pour les femmes depuis le début de la révolte de février. Avant, il était presque impossible pour nous d’aller seules faire des courses à l’épicerie du coin… Aujourd’hui, nous avons un rôle aussi important que celui des chefs tribaux dans cette révolution ! Les gens nous voient différemment, ils ont clairement conscience qu’on ne peut pas faire la révolution en laissant de côté la moitié de la population ».
Le rôle des femmes est si important dans la révolution qu’à son issue, ces dernières sont appelées à rejoindre les députés du dialogue national. Une instance mise en place pour six mois, dont le but est de construire les nouveaux fondements du Yémen et d’écrire la nouvelle constitution. Parmi les 565 appelés, 25 % sont des femmes. Une révolution pour le Yémen, qui ne comptait jusqu’alors qu’une femme au Parlement.
Mais le vent tourne quand les Houdistes décident de reprendre l’offensive en 2014.
Les prémices d’égalité fraîchement acquises par les femmes sont stoppées net, ainsi que l’idée d’un Yémen plus juste envers elles. L’heure n’est plus à la démocratie mais au conflit, qui s’enlise et place les femmes dans une précarité sans précédent.
Comme le soulignait récemment le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA), les violences envers les femmes et les filles ont en effet augmenté de plus de 63 % depuis le début du conflit. 2,6 millions de femmes et des filles sont aujourd’hui menacées de violences physiques et/ou sexuelles, en raison de leur genre. En 2016, plus de 10 000 attaques envers les femmes et les filles ont ainsi été recensées. Un chiffre bien au-dessous de la réalité, la plupart de ces violences n’étant pas répertoriées. L’UNFPA dénonce ainsi « plus de viols, de violences domestiques, de mariages forcés de jeunes filles, d'abus physiques et psychologiques à l'encontre des femmes et des filles par rapport aux chiffres établis deux ans auparavant ».
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